mercredi 24 février 2010

COMPRENDRE HAÏTI POUR NE PAS L'OUBLIER ENCORE #3


3-Les legs économiques et moraux de la période coloniale


Revenons plus précisément à la première vague coloniale occidentale : Les grandes découvertes marquent le début de l’expansion européenne outre-mer et de la domination de l’Occident sur le monde.


Plusieurs facteurs ont contribué au moteur initial de cet essor : les avancées technologiques, les expériences accumulées sur l’Atlantique, la persistance d’un esprit de croisade, la recherche d’une route menant aux richesses de l’Asie (en évitant à la fois le monde musulman et le monopole vénitien sur le commerce des épices), un certains dynamisme démographique, la formation de pouvoirs étatiques forts ou encore l’émergence d’un modèle capitaliste moderne.

Les premiers grands explorateurs sont les Portugais sous l’impulsion du prince Henri le Navigateur. Ce sont eux qui atteignent les Indes par le cap Bonne-Espérance en Afrique (avec Vasco de Gama en 1499) puis qui s’installent dans les archipels atlantiques vierges.


En exploitant ces territoires, ils développent un système économique colonial moderne avec des cultures exotique (telle la cannes à sucre), le début de la traite des noirs et des investissements en capitaux élevés pour l’époque. Ils visent le commerce des esclaves, de l’or et de l’ivoire ainsi que celui très lucratifs des épices.

De leur côté, les Espagnols conquièrent les îles Canaries en 1491-1496 provoquant l’extermination du peuple autochtone Guanche. En 1492, Colomb atteint l’île de San Salvador, puis fonde le premier établissement colonial du Nouveau-Monde à Hispaniola. Nommé vice-roi son gouvernement se révèle désastreux, surtout pour les autochtones du faits des sévices des conquérants.


La conquête du Nouveau-Monde par les conquistadors est vivement accomplie surtout grâce à la technologie des armes à feu. Rapidement, les colons espagnols s’enrichissent au détriment des communautés indiennes. Parallèlement, la Métropole* exploite intensivement les riches gisements d’or et d’argent du continent.
(* à cette époque la Métropole signifiait le pays colonisateur : France, Espagne, Portugal, Angleterre, Pays-Bas, etc)


Le coût humain de cette expansion est très lourd. La population amérindienne, réduite en esclavage, s’effondre passant de 80 millions à 12 millions.


Les massacres, les violences, les travaux forcés, les déportations, la déstructuration des sociétés indigènes et les maladies européennes sont responsables de ce désastre humanitaire.


La forte baisse de la population amérindienne a pour conséquence de priver les colons blancs d’une majeure partie de leur main d’œuvre. Les Espagnols se tournent donc vers la traite des Noirs déjà pratiquée par les Portugais. Par la suite, les Français, les Anglais et d’autres pays s’y mettront aussi.


C’est justement entre les XVIe et XVIIIe siècles, que se développe en Europe les théories économiques mercantiles qui encouragent enrichissement d’un pays grâce au développement du commerce extérieur combiné à un rôle protectionniste de l’État qui encourage les exportations.


N’étant pas moi-même très à l’aise avec les théories économiques, je me suis donc arrêtée plus à fond sur ces notions qui ont un impact réel et pesant sur les colonies et leur avenir.


D’abord qu’est-ce que le protectionnisme ?


"Le protectionnisme désigne la politique et les pratiques d'un État qui intervient dans l'économie afin de défendre ses intérêts et ceux de ses entreprises face à la concurrence étrangère et de maintenir ou développer ses propres forces de production. Le protectionnisme peut se mettre en place sur un ou des secteurs particuliers de l'économie. Le protectionnisme s'oppose donc au libre-échange."


C’est ainsi que les colonies se voient limitées dans leur production afin de ne pas nuire à la métropole.


Prenons le cas la Nouvelle-France, elle pouvait exporter des fourrures en France mais ne pouvait pas produire des chapeaux tout fait car cela entrait en concurrence avec les chapeliers français. Elle pouvait envoyer du bois, mais ne pouvait envoyer des meubles. Notons au passage que le pillage en règle des forêts coloniales avait peu d’importance. De même que dans les colonies du sud les ressources du sous-sol.


Voilà comment est décrit la Nouvelle-France « une société paysanne à laquelle on impose, pendant tout le Régime français, un mercantilisme strict qui empêche les colonies de produire ce que la métropole peut leur fournir. »



Qu’est que le mercantilisme ?


« Politique économique selon laquelle la puissance coloniale doit s'enrichir en matières premières en passant par ses colonies. Le mercantilisme n'est pas positif pour la colonie car elle ne profite pas du profit fait par le colonisateur lorsqu il revend les produits finis ailleurs ou simplement à sa propre colonie. »
http://www.afcam.org/index.php?option=com_content&view=article&id=498&Itemid=498


« Dans les faits, la colonie sert uniquement à enrichir la métropole, parce qu'elle fournit les matières premières nécessaires au commerce et aux manufactures de la Métropole. Cette stratégie économique se nomme le mercantilisme. Selon le mercantilisme, la puissance d'un État se mesure selon l'or qu'il possède. Pour acquérir plus d'or, les pays doivent vendre de plus en plus de produits manufacturés » http://columbus.cyberscol.qc.ca/phips/histoire/le_mercantilisme.html


Allant à l’encontre de l’influence de l’Église catholique qui reprouvait l’enrichissement et les mécanismes inhérents au capitalisme comme le prêt (banalisé par les banquiers italiens et allemands de la Renaissance), les souverains européens eurent comme objectif d’accumuler un maximum de métaux précieux(or, argent)


Le système colonial est donc associé à l’application d’une domination d’abord militaire, puis politique et économique des colonies par les puissances européennes : il a laissé le souvenir profondément ancré d’un système par principe inégalitaire et injuste.


J’aimerai insister sur 2 points avant de terminer :


Premièrement, Haïti a donc hérité à son indépendance d’une économie qui n’avait pas pour but d’enrichir collectivement la colonie, mais avant tout, d’enrichir la métropole, soit dans le cas qui nous occupe, la France (la colonie d’Haïti d’abord espagnole fut cédée à la France) . Le système enrichissait également au passage les colons grands propriétaires terriens majoritairement blancs (minoritairement mulâtres). Cette économie était basée sur les grandes exploitations et sur l’esclavage et non sur le travail libre et l’industrialisation. Cette économie était foncièrement différente de l'économie en France même.


Deuxièmement, le colonialisme a laissé des marques psychologiques :


« Pire encore, les gens étant le produit de ce qu’ils ont vécu, la plupart des aïeux ont reproduit la mentalité coloniale qui privilégie l'égoïsme, l’inégalité et le sentiment de supériorité personnelle sur le bien-être commun. Au lieu de construire une nation sur une justice sociale et un système économique viable et fiable, ils étaient simplement déterminés à remplacer les colons sans extirper pour autant la mentalité coloniale. »



En d’autres mots, et cela est fondamental pour comprendre la suite, la société haïtienne c’est bâtit sur l’inégalité entre les hommes.

En haut de la hiérarchie, Il y avait le colon blanc (grand propriétaire ou autre) . En second, il y avait le mulâtre et la mulâtresse libre, dit « gens de couleur libre », fruit du maître blanc et de l’esclaves noire (et leur descendance) ainsi que le noir affranchi. En dessous, il y a l’esclave noir. Et tout ce beau monde ne va pas hésiter à se poignarder dans le dos, afin de contrôler l’île et son économie (on en trouve encore des traces pendant la dictature de Duvalier fils !)


« Ainsi, il y avait trois castes fondamentales d’hommes à Saint-Domingue. 1- la caste des colons blancs 2- la caste des affranchis (majorité mulâtre et minorité noire) et 3- la caste des esclaves (majorité noire et minorité mulâtre). A la veille de la révolution de 1789, les blancs étaient au nombre de 40000, les affranchis au nombre de 28000 et les esclaves au nombre de 452000 »
http://www.alterpresse.org/spip.php?article7267

On reviendra sur la question des luttes de castes en Haïti mais vous comprenez d’ores et déjà que le colonialisme a laissé des marques profondes, vous serez peut-être surpris cependant de voir comment la question est toujours d’actualité ! Finalement, vous admettrez comme moi que la situation est pas mal plus compliquez que prévue !


@ suivre…


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vendredi 19 février 2010

COMPRENDRE HAÏTI POUR NE PAS L'OUBLIER ENCORE #2



2- LE COLONIALISME

Pour bien comprendre la situation des pays du Tiers-Monde, dont Haïti fait parti, il faut bien saisir ce qu’est une colonie et ce qu’est le colonialisme.

D’abord établissons une règle simple et majoritairement vraie :
COLONIALISME ANCIEN = TIERS-MONDE ACTUEL

C’est donc dire que ce sont les pays conquérants européens qui sont responsables de la naissance du Tiers-Monde. Ce que nous vivons aujourd’hui est le fruit des choix du passé. C’est tellement vrai que les historiens de l’histoire contemporaine s’entendent pour dire que la colonisation en Afrique du Nord, surtout en Algérie, les dures répressions subit par les Berbères musulmans, le dénigrement de la culture arabe, la violence de la guerre d’Algérie (dite la « sale guerre ») ont une part importante dans la naissance de l’intégrisme musulman (comme mouvement d’affirmation national, culturel et religieux).
http://www.cvm.qc.ca/encephi/CONTENU/livres/Int%C3%A9grismes2.htm

Ainsi donc, nous nous serions nous même mis l’épine de l’intégrisme musulman dans le pied, ironique non ?

La colonisation de territoires par des États ou des peuples étaient à l’origine une pratique d’annexion pure et simple faite par les conquérants pour accroître leur espace vital. C’est une pratique vieille comme le monde, on connaît les empires romain, ottoman, mongol, perse, etc.

Le monde occidental moderne a connu deux importantes vagues d’expansion coloniale : La première suite aux grandes explorations et découvertes maritimes du 15-16ième s. (Vasco de Gama, Christophe Colomb, etc.)et la seconde aux 19-20ième s. et qui prend fin avec la Première Guerre Mondiale.

C’est au 16ième s. que la colonisation est juridiquement définie comme une « politique d’expansion pratiquée par certains États à l’égard de peuples moins développés obligés d’accepter des liens plus ou moins étroits de dépendance ». Ainsi l’occupation est reconnue comme un mode légal d’acquisition de territoire sans maître… En pratique, on s’en doute, la notion de « territoire sans maître » manifestait souvent une négation des droits des populations indigènes et de leur forme d’organisation socio-politique.

En 1789 a lieu la Révolution Française connu de tous comme étant la libération du joug monarchiste et de l’abolition des privilèges de la naissance. Avec la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, elle proclama l'égalité des citoyens devant la loi, les libertés fondamentales et la souveraineté de la Nation, apte à se gouverner au travers des représentants élus. On peut y lire « Tous les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ».

On serait donc en droit de penser qu’il y aura de grands changements dans les colonies… Pourtant en 1791, l’évêque Maury devant l’Assemblée nationale française adresse publiquement un vibrant plaidoyer contre l’abolition de la traite des esclaves et la libération des colonies.
« Si vous deviez chaque année, perdre plus de 200 millions de livres que vous recevez actuellement de vos colonies; si vous n’aviez pas le monopole du commerce avec vos colonies pour alimenter vos usines, entretenir votre flotte, faire marcher votre agriculture, payer vos importations, satisfaire vos besoins de luxe, rétablir l’équilibre de votre commerce avec l’Europe et l’Asie, alors je le dis tout net, le royaume serait immédiatement perdu.»


http://www.michelcollon.info/index.php?option=com_content&view=article&id=2486:sans-les-esclaves-nous-serions-perdus&catid=1:articles&Itemid=2

On constate vite que les intérêts économiques sont puissants. Le nouveau régime entend absolument conserver de l’ancien cette source de profits gigantesques. Certes, la Convention abolira formellement l’esclavage en 1794, mais elle se gardera bien d’appliquer cette décision. Et avec Bonaparte on verra un net recul.

Plus tard, vers 1868, avec l’apparition des théorie de Darwin sur l’évolution des espèces et la sélection naturelle, commence à apparaître la notion de « darwinisme social ». Envisagé à l’échelle de la compétition entre les humains et non des animaux, le darwinisme social préconisait la levée des mesures de protection sociale, l’abolition des lois sur les pauvres ou l’abandon des conduites charitables (puisque la survie appartenait au plus fort). À l’échelle de la compétition entre les groupes humains, il faisait de la lutte entre les «races» le moteur de l’évolution humaine. Ce qui permit à certains intellectuels de l’époque de faire de l’impérialisme et du colonialisme un triomphe « du progrès sur les races moins avancés ».

En 1885, le député Jules Ferry écrivit : « Il faut dire ouvertement que les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures, un droit parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieure »

http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/afrique/algerie-2Histoire.htm

Mais quelques soient les justifications idéologiques, les motivations du colonialisme sont foncièrement égoïstes et avant tout matérialistes.

Elles sont en gros celles-ci :
-S’emparer des richesses d’un pays et assurer l’approvisionnement du pays conquérant (dite Métropole) en matières premières.

-Garantir des déboucher à l’industrie nationale du pays conquérant en cas de surproduction.
-Conquérir un espace de peuplement
-Contrôler les routes commerciales
-Contrôler la traite négrière
-Accomplir un « mission civilisatrice » issue de l’humanisme des Lumières
-Établir la domination d’une race jugée supérieure sur une autres dites dite inférieure.
-Répandre une religion

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Ce texte se poursuivra dans les jours qui suivent.


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