Journal de voyage du chemin de Compostelle GR 65 (Via podiensis) Aventures et autres réflexions d'une mordue de la marche
mardi 29 mars 2011
3 petits cochons noirs et un gros rose... histoire surprenante du génocide du porc haïtien
Il y a quelques mois, après le terrible tremblement de terre qui ravagea Haïti, j’avais écrit quelques billets sur l’histoire de ce peuple. Billets que vous pouvez lire ici:
- http://yadesmots.blogspot.com/2010/02/comprendre-haiti-avant-de-loublier.html
- http://yadesmots.blogspot.com/2010/02/comprendre-haiti-pour-ne-pas-loublier.html
-http://yadesmots.blogspot.com/2010/02/comprendre-haiti-pour-ne-pas-loublier_24.html
- http://yadesmots.blogspot.com/2010/03/comprendre-haiti-resume.html
J’étais alors sidérée de ce que je pouvais lire sur la supposée paresse des Haïtiens et autres jugements méprisants et superficiels. Je n’avais pas une connaissance approfondie du sujet mais je soupçonnais que le peuple haïtien ne devait pas porter seul le fardeau du marasme et de la pauvreté et dans lesquelles il s’enfonçait.
Je m’étais alors lancé à corps perdu dans la lecture et, plus je lisais, plus mes soupçons devenaient certitudes. Si bien qu’aujourd’hui, voici ce que j’en dis : « Au banquet haïtien, après que les grandes puissances eurent mangé tout leur soûl et laissé derrière eux une table vide et sale, alors que les valets se remplissent les poches à leur tour, suivant en cela leur exemple, les grandes puissance se retournent et s’exclament après que le tremblement de terre eu jeté la table par terre: Ah ! Mais qu’ils sont donc mal organisés, corrompus et paresseux ces Haïtiens, il faut tout leur montrer ! »
De toutes mes lectures, plus affligeantes les unes que les autres, un épisode récent m’a plus particulièrement touché, sans doute à cause de l’analogie homme noir/homme blanc qui s'en dégage et parce qu’il représente parfaitement le pouvoir des nations extérieures sur le destin du peuple haïtien. C'est celui de l’éradication de la race porcine haïtienne.
Je crois qu'il est toujours d'actualité de faire connaître cet épisode alors qu'encore la semaine passé j'entendais quelqu'un dire que le peuple japonais était donc ben mieux que les Haïtiens pour se relever avec dignitié et efficacité de leur tremblement de terre (sic) !!!
Je vais laisser Jean Métellus, écrivain haïtien, vous raconter en ces propres mots ce que j’ai appelé l’histoire des 3 petits cochons noirs et du gros cochon rose :
« En 1978 apparaît en Haïti la peste porcine africaine (PPA). Aussitôt est mis en route le plan d’éradication de cette maladie par l’abattage du cheptel : la quasi totalité des porcs haïtiens, réputés pour leur robustesse, leur adaptation au climat et leur peu d’exigence alimentaire, a été tué. On estime de 1.2 à 1.9 millions le nombres de porcs disparus.
C’est entre 1981 et 1983 que PEPPADEP (plan d’éradication de la peste porcine africaine et du développement de l’élevage porcin ) a été mis en application. Les conditions d’exécution de ces porcs ont été quasi arbitraires. On peut lire dans certaines sources que "l’abattage semble avoir été décidé sans étude sérieuse et ses fondements scientifiques paraissent fort discutables ! Une région a été déclarée atteinte à 100% sur la basse de 4 animaux testés. Une autre région reconnue indemne à 100% devint quelques jours plus tard « globalement contaminée » une fois prise la décision d’abattage".
«En réalité, cette opération organisée par les USA, le Canada et le Mexique avec l’appuis financier des éleveurs nord-américains avait été conçue pour protéger le continent américain d’une ÉVENTUELLE CONTAMINATION par un foyer décelé en Haïti. Aucune mesure n’a été prise pour sauver cette race de l’abattage systématique. Pour compenser les pertes subies par les paysans (qui avaient souvent été forcé par les tontons macoutes de vendre leur cochon à rabais) on a versé 23 millions de dollars au PEPPADEP et sur cette somme 7.5 millions ont été attribués aux paysans alors qu’on estime à 60 millions de dollars la valeur du cheptel abattu. »
Voilà qui déjà est affligeant, mais Métellus poursuit son récit : « Pour essayer de repeupler le pays en porcs, il faudrait importer de nouvelles races RUSTIQUES, peu fragiles, susceptibles de répondre à certaines exigences de précocité, de prolificité, de satisfaire aux habitudes alimentaires haïtiennes. On retrouves ces races dans l’Asie du Sud-est, en Europe du sud, en Chine, aux Antilles. Le porc jamaïcain semble remplir les critères, tout comme la race créole de Guadeloupe. Mais ces solutions ne semblent pas convenir aux autorités américaines et haïtiennes. Ces instances veulent plutôt un type d’élevage le plus contrôlable possible et récuse donc l’élevage paysan privé, familial, individuel, vital tel que pratiqué avant 1980. Car c’est le porc qui représentait l’épargne du paysan et qu’on vendait pour acheter les médicament et les semences, pour faire face aux besoins d’un mariage, du matériel scolaire et c’est le porc qui consommait les fruits et les céréales avariés, la surproduction de mangues, d’avocats et d’arbres à pain, les résidus de culture, les épluchures, les sons et chaumes, il freinait ainsi la pullulation des rongeurs.
Les races de porcs proposées par les autorités ne correspondent pas du tout aux besoins et situation économique de ce pays. Les porcs de variété européenne et nord-américaine doivent être élevé dans des porcheries industrielles, nourries avec des aliments concentrés, entourées de soins vétérinaires, autant de conditions que le paysan ne peut assurer. CETTE RACE EST DESTINÉE AUX RICHES.
On ne peut manquer de trouver une certaines ironie à cette situation qui oblige le paysan noir à élever un cochon rose sous un véritable toit alors que lui-même n’en dispose pas vraiment.
Les conséquences de la disparition des porcs locaux se sont vite fait sentir. Des religieux ont témoigné des graves problèmes alimentaires qui ont suivi la destruction du cheptel, ayant des conséquences désastreuses comme la chute de 50% de la fréquentation scolaire dans la zone la plus touchée. Le plat national, le griot, a totalement disparu de la table familiale. »
-Jean Métellus « Haïti une nation pathétique » Éd. Maisonneuve et Larose » 2003
Il serait toujours possible d’imaginer que Métellus est de mauvaise foi, qu'il exagère, mais quand les témoignages se multiplient, il faut ouvrir les yeux. On peut lire ailleurs « L'impact alla même plus loin que la perte d'argent ou de protéines. Les fermiers ne savaient plus que faire des mangues qui servaient à nourrir les porcs; à la recherche d'argent, ils vendirent leurs manguiers pour en faire du charbon de bois, participant ainsi au phénomène de déforestation de l'île déjà bien avancé. De plus, ils remplacèrent leurs cochons par des chèvres qui, en mangeant les arbustes, accélérèrent encore le processus. » http://www.pyepimanla.com/decembre-2008/articles/haiti-le-retour-du-cochon.html
Dans une autre source on peut lire également ceci « De plus, pour les célébrations vaudou, le cochon noir est essentiel: son sacrifice scelle les contrats » et encore ceci « (à l’époque) Les spécialistes ne préconisent nullement l’abattage systématique. Ils conseillent d’isoler les troupeaux atteints et, à la limite, d’abattre uniquement ces bêtes. » Mais les Américains sont arrivés à persuader les autorités haïtienne qui fallaient tout abattre. « De plus, l’abattage a été conduit de façon très brutale par les autorités, désireuses d’empocher la prime offerte par les Américains pour chaque cochon éliminé et sans verser son dû au propriétaire.
http://www.pyepimanla.com/decembre-2008/articles/haiti-le-retour-du-cochon.html
Dans « Haïti, économie politique de la corruption » Tome IV. Éd. Maisonneuve et Larose, 2007, Leslie Péan écrit: « À côté des tontons macoutes, les bénéficiaires de l’abattage des cochons créoles, sont ESSENTIELLEMENT, les firmes américaines et les consultants américains qui ont sillonné le pays pendant deux ans pour ensuite empocher de beaux salaires » « L’importation de porc de race « améliorée » (lire une race américaine mésadaptée) se révélera un échec car le coût de l’alimentation de l’animal dépassait souvent son coût de vente… On peut comprendre que les paysans les avaient désignés sous le nom de « prince à 4 pattes ». Leur coût d’entretien était plus élevé que celui du paysan lui-même ! »
Péan poursuit « C’est sous la menace de Washington d’enlever tous les visa aux Haïtiens que le gouvernement haïtien avait du céder aux injonctions lui demandant de sacrifier son cheptel porcin. » N’est-ce pas que ça sent l’abus de pouvoir à plein nez ? Mais de quoi avait donc peur les Américains ? Simplement que la peste porcine se répande en Amérique parce que les races d’élevage intensive, cochons, dinde, poule, vache, sont faibles et vulnérables, pour les protéger on doit sans cesse les gaver d’antibiotique (la joie pour nous…) Alors entre sacrifier les biens des Américains (dans les sens d’habitants des Amériques) et sacrifier les biens des Haïtiens le choix est facile.
Mais, est-ce bien vrai que la race du cochon créole était si affectée par la PAA ? Certains disent qu’un million de cochons était déjà mort de la maladie avant l’abattage, certains contestent ces chiffres et avancent plutôt que le rétrécissement des petites propriétés familiales avait réduit l’alimentation du cochon d’ou son faible taux de reproduction et la diminution du cheptel. On se doute que les Américains n’avaient pas du avoir de scrupules à mettre les risques de la pandémie au maximum (pour se protéger). Avec ce qu’on sait aujourd’hui sur le ridicule des évaluations de risque de pandémie ! Ne sommes nous pas tous déjà morts de la grippe aviaire ou porcine, de la maladie de Lime ou du SRAS ?
« La pauvreté en Haïti est considérée comme un caprice de l’histoire ou lié à la culture, alors qu’en réalité, elle est la conséquence directe d’une relation brutale avec le monde extérieur – notamment les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne (ajoutons le Canada et le Mexique) – qui dure depuis des siècles. » Seumas Milne
Voilà tout est dit...
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*** désolé suite à un bug, mon blog refuse de faire les espacements entre les paragraphes même après 3 essais :( :( :(
RépondreSupprimerMy-God.
RépondreSupprimerMerci pour cette "histoire". Cela jette une lumière différente sur la situation. Merci du partage.
Étonnant hein ?
RépondreSupprimerParait que maintenant le cochon noir est réapparu, il serait ici de la réintroduction par les "bons savants blancs généticiens" qui auraient croisés un 3-4 races porcines étrangères, chinoises, reuropéennes, etc... cela aura pris plus de 20 ans pour aboutir au cochon créole alors qu'il aurait été plus simple de conserver des abimaux sains au départ ou de prendre des cochons cubains ou de la Guadeloupe.
Mon mari chimiste a qui je racontais cette histoire: ben voyons, ces biologistes ne sont pas tous des cons, ils doivent savoir ce qu'ils font. J'ai répondu ils font ce qu'on ce pour quoi on les a payé soit créer une race adaptée, ils ne sont pas responsables des errances politiques, des décisions économiques injustes, etc Peut-être que pour eux ils sont des héros...
Quel texte intéressant. L'histoire d'Haïti à travers celle de ses cochons. Discriminés jusque dans leurs cochons. Accablant. On ne sait plus comment aider ce pays, Éléonore. En tout cas, moi, je ne sais plus. Je parraine une petite fille directement, je n'envoie plus d'argent pour la reconstruction. J'en ai déjà envoyé, beaucoup l'ont fait. Perdu l'argent? Encore?
RépondreSupprimertu as raison femme libre, on ne sait plus.
RépondreSupprimerje pense qu'il faudrait commencé par mieux écouter les haïtiens eux-même pas ceux en dispora, ceux de l'île, le maire de port-au-prince ne disait-il pas avoir demandé de l'aspirine et avoir reçu de la morphine...
Une chance que tu ne considères pas un retour au travail...
RépondreSupprimerT'as vraiment trop à faire !
Tellement intéressant !
Je n'ai que les lundis pour faire ma tournée des blogues et l'arrivée chez toi est toujours plein de surprises...
Bonne journée :)